Que font les Helvètes de Viviskes lorsqu’ils ne se battent pas? Ils s’entraînent. Et quand ils ne s’entraînent pas? Ils participent à des banquets. En effet, ceux-ci forment une part importante de la vie publique et politique de l’aristocratie guerrière à l’époque de La Tène. C’est une occasion de rencontrer les autres chefs, de négocier des accords, de prouver sa valeur ou simplement de réaffirmer son rang. Vu l’importance du phénomène, notre troupe se devait absolument d’essayer de reconstituer un banquet le plus fidèle possible aux sources ! Pour l’occasion, nous avions choisi comme écrin le village lacustre de Gletterens.
Car, même si ce lieu a pour vocation de reconstituer un village du néolithique, ses toits de chaume, ses murs en clayonnage et ses maisons longues sont encore présents lors de la période que nous reconstituons.
Notre banquet a commencé par un rituel attesté par de nombreuses sources, non seulement en France mais aussi en Romandie, sur le site du Mormont entre autres: un sacrifice d’amphore par décollation. En effet, en suivant les traces retrouvées par l’archéologie, il est possible d’affirmer sans crainte que ce rituel se pratiquait dans le cadre de banquets. Grâce notamment au sanctuaire de Corent, dans lequel des dizaines, voire des centaines, d’amphores ont été retrouvées, nous sommes en mesure d’imaginer le déroulement de celui-ci.
Nombre d’amphores décollées ont été retrouvées autour d’une fosse, et les textes des auteurs gréco-latins nous apprennent que les sacrifices aux divinités chthoniennes (du monde souterrain) se faisaient souvent ainsi. De plus, ces sources affirment également que le feu est un élément indispensable des rituels religieux celtes. Nous avons donc rempli notre amphore de vin et l’avons disposée le col au-dessus d’une fosse dans laquelle avait été allumé un feu. Après un discours du membre chargé de représenter le druide ainsi que du chef de tribu, celle-ci a été décollée d’un coup d’épée. Il est important de noter que la cassure du col ressemble très fortement à l’amphore décollée retrouvée au Mormont.
Amphore décollée du Mormont
Après cette cérémonie, la Teuta a pu passer à un autre rituel : les discours d’avant festin par les chefs de tribus, à l’échange de cadeaux et, surtout, à la cuisson de la viande. En effet, banquet oblige, le menu était des plus copieux : sanglier mariné au grill, poisson grillé, potée à l’orge, fruits frais et secs et, bien évidement, grand nombre de viandes froides et de poisson fumé à se partager. Et pour arroser tout cela ? De la cervoise, du cidre et du vin, dont on sait avec certitude que les Gaulois étaient de grands amateurs. Il est important de préciser que chaque ingrédient de ce menu, viandes ou épices, a été sélectionné en fonction de la connaissance de leur utilisation à l’époque. Nous pouvons donc affirmer que ce menu est tout à fait compatible avec l’époque.
Il faut cependant ajouter une précision sur le sanglier. En effet, de par les bandes dessinées et l’imagination populaire, celui-ci est souvent représenté comme étant la nourriture principale des Gaulois alors qu’en réalité, il était très peu consommé et uniquement dans des occasions spéciales, comme un banquet par exemple. De plus, le cochon élevé durant la Tène dans nos régions devait plus se rapprocher du sanglier moderne que de notre cochon moderne, bien plus massif.
Quant à nos grills, ceux-ci ont été forgé par un de nos membres, forgeron de son métier, en suivant les modèles retrouvés lors de fouilles. Cela a permis une cuisson de viande ressemblant fortement à ce qui a pu exister, avec les différents problèmes que cela peut impliquer pour cuisiner. Mais le défi a été relevé et tout le monde a pu se régaler.
Gill et ustensiles liés au banquet, exposition du Mormont
Durant ce banquet, nous avons eu droit à de nombreuses animations : un duel de champion pour savoir à qui reviendrait le premier morceau de viande, la part la plus noble (une pratique retrouvée à de nombreuses reprises dans les textes et qui se poursuit jusque dans les légendes arthuriennes), des chansons à la gloire de nos chefs et des plus vaillants guerriers, une manière pour les bardes de payer leur repas, un renouvellement d’alliance entre deux chefs, des défis de toutes sortes entre guerriers, le tout sous un grand soleil qui a permis de prolonger le banquet jusqu’en fin d’après midi, quand les tables ont commencés à se vider.
Au final ce fut une expérience très enrichissante qui nous a permis d’explorer un aspect connu mais peu exploité de la vie d’un guerrier : que fait-il quand il ne se bat pas ? Nous avons aussi pu travailler sur un menu de banquet, bien différent de la nourriture commune et exhiber avec fierté nos plus plus costumes et plus beaux gobelets de table. A la fin de cet événement, il ne nous restait qu’une seule question : à quand le prochain ?
Remerciements
- Pierre-Alain Capt, pour l’amphore ainsi que son apport précieux à notre vaisselier.
- Le village lacustre de Glettrens, pour son accueil.
- Simon Luprano, pour son travail de forgeron.
- Mauel Rickli, pour les photos.
- Sargotarvos, Aventos, Catuvolcus, Eporedia, Suarios, Avela Aedrini, Dugilomios, Coslo, Artotragos, Maro Martalos, Iarosaidu, Vellocatos, Lucosouna, Maryka et Carlina pour leur enthousiasme et leur participation.
Bibliographie
- Coll., GOUDINEAU C., dir., Religion et société en Gaule, Errance, Paris, 2006
- BUCHENSCHUTZ, O., Les Celtes, Armand Colin, Paris, 2007
- GUYONVARC’H C.-J., Magie, médecine et divination chez les Celtes, Paris, 1997
- LUGINBÜHL T., «Dionysos et le banquet gaulois», in : Chronozones I, 1994, pp. 15-27
- LUGINBÜHL T., Cuchulainn, Mythes guerriers et sociétés celtiques,Infolio, Gollion, 2006
- POUX, M., L’âge du vin : rites de boisson, festins et libations en Gaule indépendante, Éditions Monique Mergoil, Montagnac, 2004
- POUX M., « Espaces votifs-espaces festifs. Banquets et rites de libations en contexte de sanctuaires et d’enclos », in: Revue d’archéologie de Picardie, num. 1-2, 2000. Les enclos celtiques, Actes de la table ronde de Ribemont-sur-Ancre (Somme), pp. 217-231